La soutane et le veston

Dans la grande salle des Sociétés Savantes, la foule s'énerve d'entassement et d'attente. Despuis dix minutes l'heure est passée et rien n'indique une séance près de commencer. Le public assis - même les jeunes gens juchés, pieds pendants, sur le rebord de la scène - garde encore une lourdeur, une indifférence apparente d'explosif endormi. Mais tout ce qui est debout – cette masse grouillante au fond et, entre les groupes de sièges, ces lignes tassées – réclaime sur l'air des lampions : « Orateurs! Orateurs! Orateurs! » Des pieds encore incertains battent le plancher; des voix protestent contre la poussière soulevée et, çà et là, une toux se fait entendre. Han Ryner qui doit présider, paraît sur l'estrade envahie de chaises et d'auditeurs. Des deux mains il fait un geste apaisant; toute sa large barbe est un rire de bienveillante blancheur et de blanche malice.

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Gandon, Yves. « Romans et traductions ». L’Esprit français, hebdomadaire littéraire et artistique, 10 janvier 1933, p. 59-60.

Castigat ridendo… On pourrait en dire autant du volume de Han Ryner, La Soutane et le Veston. Mais, comme il fallait s’y attendre avec le Socrate moderne, nous quittons ici le plan de la satire simplement sociale, pour nous élever à celui des idées philosophiques et religieuses.

Aux yeux du Témoin impartial que fait de nous ce roman, la soutane de l’abbé de Sourdelaud et le veston du camarade Lucien Troussilet cachent des sectarismes égaux et de valeurs contraires, qui s’annulent réciproquement. L’anticlérical n’est qu’un clérical affecté du signe moins. Au lieu d’anathématiser avec grandiloquence l’un au profit de l’autre, le philosophe subtil, et profondément humain parce que visant au surhumain, les renvoie dos à dos, ou, pour mieux dire nous montre, par la force des choses, et par les inévitables réactions de leurs individus, l’abbé, désabusé, jeter sa soutane aux orties pour revêtir le veston, tandis que le libre penseur, abreuvé d’amertumes, doutant de ses propres idées, après avoir balancé à se jeter dans la Seine, embrasse dans la religion une certitude, et revêt la soutane.

Cette thèse en action, bien entendu, s’égaye d’aventures piquantes et du rire rabelaisien familier à ce bel écrivain qu’est Han Ryner. Bel écrivain, non pas méconnu, certes, mais dont le talent, trop au-dessus de la curée, trop désintéressé, gêne par sa seule présence nos contemporains et fait honte aux consciences moins pures et moins hautes que la sienne.

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« Les romans ». La Revue des lectures,15 janvier 1933 p. 404. Chronique non signée.

Une simple nomenclature d’abord, dans laquelle nous groupons – comme nous le faisons régulièrement – les romans de mauvaises mœurs, tous ceux du moins qu’il est inutile d’étudier en détails.

Ces romans déroulent des idylles ou des drames plus ou moins immoraux, dans lesquels l’amour-passion tient la place principale, sans que rien ou presque rien vienne en régler la fougue, en diriger les mobiles, en relever les faiblesses, en réparer les hontes, en justifier la peinture.

De pareils ouvrages, quelle que soit l’intention de leurs auteurs, méritent notre réprobation, de nos jours plus que jamais, même s’ils ne sont pas vraiment obscènes. Nous les signalons ici, seulement pour que le public honnête s’impose la consigne de les ignorer ou de les boycotter.

[Suit une liste de quelques dizaines d’ouvrages, où, entre Le Frisson du désir et La caresse perdue, figure La soutane et le veston.]

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Colas-Lévy, Suzanne. « Des Proses ». La Proue. Revue des poëtes indépendants, Cahier 27, décembre-février 1933, p. 58.

Ce n’est plus souriante malice, mais rire un peu féroce ! Cela tient à la fois du drame et de la farce et fait Guignol pour grandes personnes. Marionnette Troussillet en veston, marionnette Sourdoulaud en soutane, et puis, hop !, la soutane sur Troussillet, le veston sur Sourdoulaud. Passez muscade ! Et derrière, Han Ryner rit silencieusement.

« Concluez, Han Ryner ! », clame toute une salle aux premières pages du livre à l’issue d’une séance où l’abbé Sourdoulaud, cherchant à prouver l’existence de Dieu, Troussillet fit les mêmes efforts pour la nier. Mais, hélas ! Han Ryner ne conclut pas, ni au début, ni à la fin, à nous de juger ! Mais il a sa pensée précise sur tout cela. Il fait parler, raisonner, se torturer ses personnages ; il les décortique à tel point qu’ils en retournent leur pensée sens dessus-dessous.

Lui se retranche avec un air de se gausser de nous. Son antidogmatisme est peut-être la meilleure façon de faire penser à un dogme rynérien. Tout à coup, il semble se livrer en un discours d’une poésie séduisante, évocatrice, nous voici sous le charme, les yeux perdus dans le vague mystérieux qu’il suscite… ses mots nous bercent… la période semble aboutir, alors : concluez, Han Ryner ! Mais non, un coup de patte, tout est démoli, tout est à recommencer !

C’est égal, c’est un beau joueur « au chat, à la belette et au petit lapin ». La pensée bien pelotonnée s’étire, et d’une étincelle diabolique pulvérise l’un et l’autre ! Car, puisque les convictions, la foi de l’abbé Sourdoulaud s’installent chez Troussillet, tandis que d’autre part la logique sarcastique de celui-ci emménage son bagage de réfutations chez Sourdoulaud… ils n’existent plus !

Vous voyez que le roman ne manque pas d’originalité ! Car c’est un roman, avec une Suzanne, et de l’atroce douleur, et de l’amour, le livre est donc comble, mais cependant, s’il vous plaît, ô sage Han Ryner… concluez ! …si c’est possible !

Cet ouvrage de poids couronne une œuvre déjà pesante, qu’il faut lire et lire, et si possible s’en pénétrer pour apprendre à penser profondément et à côtoyer sans trop de danger des abîmes où la pensée peut récolter des sensations assez rares.

Han Ryner
La soutane et le veston