Psychologie du slogan

Le slogan a pris ces dernières années une telle importance, il a joué un si grand rôle dans l'existence des peuples, il s'est implanté si profondément dans les mœurs, il jouit d'un tel prestige et d'une telle autorité auprès des foules --, devenu comme une sorte de religion pour les individus --, qu' il nous a paru nécessaire, pour l'édification des nouvelles générations, d'en dégager les caractères et d'en fixer les modalités. Le slogan a ses lois, comme tout genre littéraire. Comme tout genre littéraire, il reflète l'homme et ses passions. Il offre un réel intérêt. Il nous donne la clé des évènements contemporains. On ne saurait contester son importance et l'exclure de l'histoire de la pensée humaine.

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Battre le slogan tant qu’il est chaud

Psychologie du slogan est un livre qui a failli ne pas paraître. Et les trois volumes qui devaient le suivre – dont il ne reste maintenant comme trace que le sommaire du deuxième volume de la série, figurant en annexe à ce premier livre – n’ont jamais paru et nous devons vraisemblablement les considérer perdus.

Lacaze-Duthiers narre les vicissitudes de la publication de cet ouvrage dans son livre Sous le sceptre d’Anastasie. Mes démêlés avec la censure, ou Quatre ans de léthargie intellectuelle, juin 1940-juin 1944.[1] Il y passe en revue les rapports, longs, pénibles et frustrants avec les responsables de la censure, avant, pendant et après la guerre, pour pouvoir enfin diffuser une étude qui ne devait cependant pas – de prime abord – paraître des plus dangereuses.

Nous avions annoncé – dit-il –, à la veille de la guerre, la publication de plusieurs séries de Slogans (Contribution à l’Histoire des Mœurs sous la Troisième République). La déclaration des hostilités nous mit dans l’obligation de la retarder jusqu’à des temps plus heureux. Cependant nous avions pensé, en attendant le retour à la vie normale, qu’il nous serait possible d’en faire paraître l’Introduction dans un essai auquel nous avions donné le titre de Psychologie du slogan. Nous comptions sans le veto de la Dame (…). (Anastasie, p. 8)

Le traité, car c’est ainsi qu’il convient de l’appeler, finit par paraître, nanti en première page d’une citation passe-partout du Maréchal Pétain visiblement censée rassurer le censeur le plus tatillon. Mais il ne suffit pas d’imprimer pour qu’un livre existe. Encore faut-il pouvoir le faire lire. Or, les exemplaires produits avaient été séquestrés, et « l’ouvrage, imprimé depuis deux ans, tiré à 300 exemplaires destinés exclusivement aux abonnés de la Bibliothèque de l’Artistocratie, moisissait dans un sous-sol en attendant qu’on voulût bien le libérer ». (Anastasie, p. 56). Ce n’est donc qu’une fois le conflit terminé, et non sans avoir encore dû se confronter aux successeurs de la censure vichyssoise, pas plus commodes pour être républicains et démocrates, que Lacaze-Duthiers parvient à remettre la main sur ce qu’il reste de son tirage et à lui assurer une certaine distribution.

Ce premier volume devait toutefois, selon ses intentions, être donc suivi de trois autres. À la théorie, qu’offre ce livre, allait suivre la pratique, sous la forme du décorticage systématique d’une série de slogans et de lieux communs, tout à fait dans la même veine – si ce n’est dans le même esprit – que l’avait fait Léon Bloy, le pamphlétaire catholique, avec son Exégèse des lieux communs. Jusqu’à la toute fin de sa vie, Lacaze-Duthiers entretint visiblement l’espoir d’arriver à faire paraître ces trois volumes, annoncés à plusieurs reprises et qui ne manquent jamais chaque fois que dans un nouvel ouvrage, à la liste des œuvres parues, s’ajoute celle des manuscrits en attente de publication. Mais sa mort en 1958 vient mettre un point final à l’entreprise.

Cela est d’autant plus à déplorer que le travail sur le lieu commun, sur les banalités, les phrases toutes faites et le prêt-à-penser, se trouve réellement à la base de la réflexion de l’écrivain, occupant une place aussi importante dans sa pensée que ses théories esthétiques et sociales. Si la charpente du livre peut parfois paraître – comme cela est souvent le cas chez Lacaze-Duthiers – quelque peu aléatoire, la force de l’expression et la conviction qui en transparaît en rendent la lecture une expérience enrichissante, surtout lorsqu’on peut contextualiser ce travail par rapport à celui précédent de Bloy, duquel Lacaze-Duthiers se voit comme une sorte de successeur, très différent au demeurant.[2]

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Compte rendu

Dargaud, Marius. « Polémique autour de l’origine du slogan. » Le Journal, 20 avril 1944. 

Dans une de ses brillantes chroniques de « La Vie du langage », André Thérive[3] écrivait : « Chacun sait ce qu’est un slogan, à savoir une formule de publicité, semblable à une devise, ou à un distique rimé, ou à un proverbe, qui court les journaux et les conversations pendant cinq ou dix ans et qui tombe ensuite dans l’oubli. J’exagère, certains slogans mieux réussis, d’ailleurs lancés avant que le mot fût en usage, ont près de quarante ans d’existence. » Et de citer quelques-uns de ces fameux slogans publicitaires, fort en vogue, tels ces Pilules Pink pour Personnes Pâles, ou ce pneu Michelin qui boit l’obstacle, repris par un romancier, académicien, dans un ouvrage paru en 1927 (c’est Thérive qui l’indique).

Si la chose est connue, et sa connaissance encore approfondie par l’essai du philosophe Gérard de Lacaze-Duthiers, « Psychologie du slogan », son origine étymologique l’est moins. Sur ce point, les écrivains sont en désaccord.

Pour Thérive, slogan c’est, à l’origine, un cri de guerre des vieux clans écossais. En principe donc, « Prince ne daigne, Rohan suis » ou bien « Montjoie et Saint-Denis ! » sont des slogans. Mais cet anglicisme n’est arrivé en français que vers 1930, et l’on peut parier que ce fut par imitation du langage commercial des Américains. Le Larousse du XXe siècle est le premier dictionnaire français à le mentionner. Rien ne dit que dans quelques années le terme ne sera pas en désuétude, ou limité à des usages spéciaux, comme il devrait l’être.

Gérard de Lacaze-Duthiers lui donne une autre origine et la note de son livre est fort intéressante. La voici dans son intégralité :

« D’où vient le mot « slogan » ? Nom que l’on croit moderne et qui est un vieux mot celtique signifiant « cri de guerre », lisons-nous dans la Jeanne d’Arc de François Duhoureau. Le sacre du roi à Reims, c’est le slogan de Jeanne. » Ajoutons que ce mot ne se trouve ni dans le Littré ni dans la Grande Encyclopédie. Nous le trouvons par contre dans le Larousse Universel (1875) et le Bescherelle (1887), qui en donnent une définition identique : « Slogan. Cri de guerre d’un clan écossais. » C’est plutôt maigre comme définition !

Le mot « slogan » ou « slughorn », figure dans de nombreux auteurs anglais du XVIe au XIXe siècle, envisagé dans différentes exceptions [sic] (slogan-cry, slogan-yell, slogan-song, litterary-slogan [sic], popular-slogan etc.). Mackensie faisait remarquer en 1680 que ce mot signifiait en France « cri de guerre ». Macauley y fait allusion dans son « Histoire d’Angleterre ».

La plupart des dictionnaires de langue anglaise ou écossaise en font mention et le font provenir du gaël sluagh (armée) et gairm (appel ou cri de guerre, war-cry). Le Nouveau Larousse donne la même étymologie.

Ne proviendrait-il pas plutôt d’un des plus vieux mots de la langue allemande, le verbe schlagun [sic], qui veut dire battre, cogner, lutter, taper, dont nous avons fait en français schlague. Dans la même langue, le mot schlagwort signifie à la fois réplique au théâtre et mot à l’emporte-pièce. Tiré du verbe schlagen, le mot slogan désigne une formule résumant une politique, une morale, une discipline imposée de gré ou de force aux individus.

Cependant, malgré leurs divergences sur l’étymologie, Lacaze-Duthiers étant plus complet et peut-être mieux documenté, et je pencherais pour sa thèse, les deux écrivains sont d’accord sur la définition du terme. Comparez celle de Thérive avec celle donnée plus haut : « Slogan sert à désigner toute formule à la mode, en politique, voire en morale », définition appuyée par de nombreux exemples de paroles devenues célèbres et remplissant cet office.

Voilà donc bien l’accord parfait, si j’ose dire ! Tous deux sont également d’accord sur la nocivité du slogan et ce sont ces mille et un aspects de ce mal du XXe siècle qu’étudie Gérard de Lacaze-Duthiers tout au long de deux cents et quelques pages alertes. Slogans de la politique, de la morale, de la religion, de la vie courante, de la littérature, du journalisme, du cinéma, du monde et j’en oublie certainement, sont dénombrés, démontés et nuancés au point que l’on reste éberlué et surpris de voir la puissance de cette nouvelle forme de laisser-aller intellectuel et moral, sorte de paresse de l’esprit.

Mais il y a de bons et de mauvais slogans, et cela nous ramène à une idée chère à Gérard de Lacaze-Duthiers qui créa, il y a quarante ans, L’Artistocratie, qu’il oppose à la médiocratie. « Ce vocable, dit-il, je l’ai tiré du grec Kratos, qui veut dire force (et dans ce cas, il s’agit de force spirituelle), terminaison qu’il m’a suffi d’ajouter au mot artiste, artisto, au lieu d’Aristo, autre mot grec qui veut dire excellent) ; l’Artistocratie, c’est en somme l’aristocratie de l’art, l’aristocratie de la pensée et l’artistocrate en est l’animateur. »

Là encore, à propos de cette médiocratie, Thérive et Lacaze-Duthiers ne sont pas d’accord puisque Thérive dans une autre chronique dit que ce sont les Goncourt qui l’écrivirent dès 1870. Mais l’expression est là et dépeint bien le milieu sur lequel influe le plus le slogan. Aussi, ne chicanons pas trop sur l’origine ou la priorité d’un terme ou d’une expression. Il suffit que l’on ait eu le courage et la probité intellectuelle d’attirer l’attention sur la question. Gérard de Lacaze-Duthiers vient de démasquer ces slogans qui sont la pâture quotidienne de cette « médiocratie » et sa « Psychologie » n’est en quelque sorte qu’un avant-propos, une introduction à trois volumes de « Slogans », prêts à paraître, qui seront une contribution à l’histoire des mœurs sous la Troisième République. Ce sera là, dans son intégrité, un précieux ouvrage, et nous comprenons que Lucien Descaves, fougueux polémiste, ait pu dire sur son auteur : « Je le range dans ma bibliothèque, à côté du Dictionnaire des Synonymes de Guizot : il est aussi indispensable ! »

 

[1] Paris : Les amis de l’Artistocratie, « Bibliothèque de l’Artistocratie », 1948.

[2] Pour une analyse plus détaillée de la Psychologie du slogan, nous renvoyons à notre livre, « On n’arrête pas le progrès » et autres vérités discutables. 50 lieux communs revus et commentés. Précédé de : « Léon Bloy et Gérard de Lacaze-Duthiers : deux consciences contre la bêtise. » Et suivi d’un « Petit lexique d’expressions utiles ». Liège : Les Presses de l’Université de Liège, 2019. (sous presse au moment de la mise en ligne de ce document)

[3] André Thérive (1891-1967), romancier et critique, co-fondateur de l’école littéraire dite « populiste ».